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La quête d’un prêt immobilier représente souvent un parcours semé d’embûches, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’assurance emprunteur. De nombreux acquéreurs se heurtent à des refus d’assurance qui peuvent compromettre leur projet d’achat, malgré l’existence d’un cadre juridique censé les protéger. Face à cette réalité, le législateur a progressivement renforcé les droits des emprunteurs, notamment via la loi Lemoine entrée en vigueur en 2022. Cette avancée majeure dans le droit à l’assurance emprunteur s’inscrit dans une volonté de garantir l’accès au logement pour tous, y compris pour les personnes présentant un risque aggravé de santé. Comment les emprunteurs peuvent-ils faire valoir leurs droits face aux pratiques parfois abusives des assureurs? Quels recours existent lorsque l’assurance devient un obstacle infranchissable?
Le cadre juridique de l’assurance emprunteur en France
L’assurance emprunteur constitue un élément fondamental dans le processus d’obtention d’un prêt immobilier. Bien que non obligatoire légalement, elle est systématiquement exigée par les établissements bancaires qui cherchent à se prémunir contre les risques de défaut de paiement. Le cadre normatif qui régit cette assurance a connu une évolution significative ces dernières années.
La loi Lagarde de 2010 a marqué la première étape vers la libéralisation du marché en permettant aux emprunteurs de choisir une assurance externe à celle proposée par leur banque. Cette délégation d’assurance était toutefois soumise à l’acceptation de l’établissement prêteur, qui pouvait refuser si les garanties n’étaient pas équivalentes à celles de son contrat groupe.
La loi Hamon de 2014 a ensuite renforcé cette liberté en instaurant un droit de substitution pendant la première année du prêt. Les emprunteurs pouvaient ainsi changer d’assurance dans les douze mois suivant la signature de leur offre de prêt, à condition que le nouveau contrat présente des garanties au moins équivalentes.
L’amendement Bourquin de 2018 a étendu cette possibilité en permettant la résiliation annuelle de l’assurance emprunteur à chaque date anniversaire du contrat. Cette disposition a considérablement accru la mobilité des assurés et stimulé la concurrence entre les assureurs.
Enfin, la loi Lemoine promulguée en février 2022 représente une avancée majeure avec trois dispositions phares:
- La possibilité de résilier son assurance de prêt à tout moment, sans frais, dès la première année du contrat
- La suppression du questionnaire médical pour les prêts inférieurs à 200 000 euros par assuré et arrivant à terme avant le 60e anniversaire de l’emprunteur
- La réduction du droit à l’oubli pour les personnes ayant souffert de pathologies cancéreuses, désormais fixé à 5 ans au lieu de 10
Ces évolutions législatives ont considérablement renforcé les droits des emprunteurs tout en limitant la discrimination fondée sur l’état de santé. Toutefois, malgré ce cadre protecteur, de nombreux emprunteurs continuent de se heurter à des refus d’assurance qu’ils jugent injustifiés, ce qui soulève la question des moyens de recours à leur disposition.
La convention AERAS: un dispositif spécifique pour les risques aggravés
Face aux difficultés rencontrées par les personnes présentant un risque aggravé de santé, la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) constitue un dispositif fondamental. Signée entre l’État, les associations de malades, les fédérations professionnelles de la banque, de l’assurance et de la mutualité, cette convention vise à faciliter l’accès à l’assurance et au crédit pour les personnes ayant ou ayant eu des problèmes graves de santé.
Le mécanisme de la convention repose sur un système d’examen à trois niveaux. Lorsqu’une demande d’assurance ne peut être acceptée aux conditions standard (niveau 1), elle est automatiquement transmise à un service médical spécialisé (niveau 2). En cas de nouveau refus, le dossier est soumis à un pool d’assureurs et de réassureurs (niveau 3) qui étudient la possibilité d’une couverture adaptée.
La convention prévoit plusieurs garanties pour les emprunteurs:
- Une motivation écrite des refus d’assurance
- Un examen individualisé de chaque demande
- La mise en place d’un mécanisme d’écrêtement des surprimes pour les personnes aux revenus modestes
- Le respect de la confidentialité des informations médicales
Le droit à l’oubli, considérablement renforcé par la loi Lemoine, représente une avancée majeure de ce dispositif. Il permet aux personnes ayant souffert d’un cancer de ne plus avoir à le déclarer après un délai de 5 ans suivant la fin du protocole thérapeutique, sans rechute. Cette disposition s’applique également à certaines pathologies chroniques comme l’hépatite C guérie, selon une grille de référence régulièrement mise à jour.
Malgré ces avancées, la convention AERAS présente certaines limites. Les surprimes d’assurance peuvent rester prohibitives pour certains emprunteurs, même après écrêtement. De plus, le dispositif ne garantit pas systématiquement l’obtention d’une assurance, certaines pathologies particulièrement graves pouvant encore conduire à des refus.
Les associations de patients et les défenseurs des droits des malades militent pour un renforcement continu de ce dispositif, notamment par l’élargissement de la grille de référence à davantage de pathologies et par l’abaissement des seuils de surprimes autorisés. La question de l’équilibre entre la mutualisation des risques, principe fondamental de l’assurance, et le droit à l’emprunt pour tous reste au cœur des débats sur l’évolution de la convention.
Les motifs légitimes et illégitimes de refus d’assurance
La distinction entre refus légitimes et illégitimes constitue un enjeu central dans la protection des emprunteurs. Si les assureurs disposent d’une certaine latitude dans l’appréciation des risques, celle-ci n’est pas sans limites et doit s’exercer dans le respect du cadre légal et réglementaire.
Parmi les motifs considérés comme légitimes figurent:
- La présence d’un risque objectif démontré par des statistiques actuarielles fiables
- L’impossibilité technique d’assurer certains risques particulièrement graves
- Le non-respect des obligations déclaratives par l’emprunteur, notamment en cas de fausse déclaration intentionnelle
À l’inverse, certains motifs de refus sont clairement proscrits par la loi et peuvent être qualifiés de discriminatoires. Le Code pénal et le Code des assurances interdisent notamment les refus fondés sur:
L’orientation sexuelle, comme ce fut longtemps le cas pour les personnes homosexuelles, systématiquement considérées comme à risque face au VIH sans justification médicale individualisée. La Cour de cassation a condamné cette pratique dans un arrêt retentissant du 24 septembre 2020, estimant qu’elle constituait une discrimination illicite.
L’origine ethnique ou géographique des emprunteurs, pratique qui subsiste parfois de manière insidieuse à travers des questionnaires détournés sur les voyages ou les séjours à l’étranger. La CNIL et le Défenseur des droits ont plusieurs fois rappelé le caractère illicite de telles pratiques.
Les tests génétiques prédictifs, dont l’utilisation est formellement interdite par les articles 16-10 et suivants du Code civil et L.1141-1 du Code de la santé publique. Un assureur ne peut ni demander à un candidat à l’assurance de se soumettre à des tests génétiques, ni utiliser les résultats de tests déjà réalisés.
La situation de handicap, lorsque celle-ci ne présente pas de lien direct avec le risque à garantir. La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées a renforcé la protection contre ces discriminations.
Un aspect particulièrement problématique concerne les refus fondés sur des présomptions médicales non individualisées. Certains assureurs appliquent des politiques de souscription rigides basées sur des catégories de risques prédéfinies, sans évaluation personnalisée du dossier médical de l’emprunteur. Cette pratique a été régulièrement condamnée par les tribunaux, qui exigent une appréciation individualisée du risque et une motivation précise des refus.
La charge de la preuve du caractère discriminatoire d’un refus bénéficie d’un aménagement favorable au demandeur. En effet, selon l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008, la personne qui s’estime victime de discrimination doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, charge ensuite au défendeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Les recours juridiques face aux refus abusifs
L’emprunteur confronté à un refus d’assurance qu’il estime injustifié dispose de plusieurs voies de recours, graduées selon la complexité de la situation et l’urgence de son projet immobilier.
La première démarche consiste à solliciter la médiation de l’assurance. Ce dispositif extrajudiciaire, encadré par le Code des assurances, permet de saisir un médiateur indépendant qui formulera une proposition de solution dans un délai de 90 jours. Bien que non contraignante juridiquement, cette médiation aboutit souvent à des résolutions amiables, les assureurs étant généralement soucieux de préserver leur réputation. La saisine s’effectue gratuitement par courrier ou via une plateforme en ligne dédiée.
En parallèle ou en cas d’échec de la médiation, l’emprunteur peut saisir la commission de médiation AERAS. Cette instance spécifique examine les recours relatifs à la convention AERAS et peut intervenir pour faciliter la recherche d’une solution adaptée. Sa saisine s’effectue par simple courrier exposant la situation et les démarches déjà entreprises.
Une autre option consiste à solliciter l’intervention du Défenseur des droits, autorité constitutionnelle indépendante chargée de lutter contre les discriminations. Cette démarche est particulièrement pertinente lorsque le refus d’assurance semble fondé sur un motif discriminatoire. Le Défenseur des droits peut mener une enquête, formuler des recommandations, proposer une médiation ou, dans les cas les plus graves, présenter des observations devant les juridictions saisies.
Si ces démarches n’aboutissent pas, l’emprunteur peut engager une action judiciaire. Selon la nature du litige, plusieurs juridictions peuvent être compétentes:
- Le tribunal judiciaire pour les litiges civils relatifs à l’exécution du contrat d’assurance
- Le tribunal correctionnel en cas de discrimination caractérisée, passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les personnes physiques, et 225 000 euros pour les personnes morales
La jurisprudence récente témoigne d’une sévérité croissante des tribunaux face aux pratiques discriminatoires des assureurs. Dans un arrêt du 9 novembre 2021, la Cour d’appel de Paris a ainsi condamné un assureur pour discrimination fondée sur l’état de santé, après le refus d’assurer un emprunteur en rémission d’un cancer, malgré un pronostic médical favorable.
Outre ces recours traditionnels, l’emprunteur peut également envisager des actions collectives. Les associations de consommateurs et de défense des droits des malades, comme la Ligue contre le cancer ou France Assos Santé, peuvent apporter un soutien précieux et, dans certains cas, se constituer partie civile aux côtés de l’emprunteur. Ces actions collectives bénéficient généralement d’une visibilité médiatique qui peut inciter les assureurs à reconsidérer leur position.
Stratégies pratiques pour sécuriser son accès à l’assurance emprunteur
Face aux obstacles potentiels dans l’obtention d’une assurance de prêt, les emprunteurs peuvent mettre en œuvre plusieurs stratégies préventives et réactives pour maximiser leurs chances de succès.
La préparation du dossier médical constitue une étape cruciale. Il est recommandé de rassembler l’ensemble des documents médicaux pertinents (comptes rendus d’examens, avis de spécialistes, résultats d’analyses) et de solliciter un courrier de son médecin traitant détaillant l’état de santé actuel et l’évolution favorable de la pathologie concernée. Ces éléments permettent de contextualiser la situation médicale et peuvent conduire les médecins-conseils des assureurs à porter une appréciation plus nuancée du risque.
La diversification des demandes représente également une approche efficace. Plutôt que de se limiter à une seule compagnie, il est judicieux de solliciter simultanément plusieurs assureurs, y compris des acteurs spécialisés dans les risques aggravés. Les courtiers en assurance peuvent apporter une aide précieuse dans cette démarche, grâce à leur connaissance approfondie du marché et des critères de souscription propres à chaque compagnie.
En cas de surprime élevée ou de refus partiel, la négociation des garanties peut constituer une solution de compromis. Il est parfois préférable d’accepter une exclusion ciblée sur une pathologie spécifique plutôt que de subir une surprime générale ou un refus total. De même, l’ajustement de la quotité d’assurance entre co-emprunteurs peut permettre de contourner certaines difficultés, en augmentant la part du co-emprunteur présentant le profil de risque le plus favorable.
Pour les situations les plus complexes, le recours à des garanties alternatives peut s’avérer nécessaire. Certaines banques acceptent de substituer à l’assurance emprunteur traditionnelle d’autres formes de garanties, comme:
- Le nantissement de produits financiers (assurance-vie, portefeuille de titres)
- L’hypothèque sur un autre bien immobilier
- La caution d’un organisme spécialisé comme le Crédit Logement
L’accompagnement par des associations spécialisées constitue un atout majeur. Des organisations comme AIDES pour les personnes séropositives, la Ligue contre le cancer ou France Assos Santé disposent d’une expertise précieuse et peuvent fournir des conseils personnalisés ainsi qu’un soutien dans les démarches administratives et juridiques.
Enfin, la vigilance quant au respect des délais légaux s’impose. La loi Lemoine a considérablement renforcé les obligations des assureurs et des banques en matière d’information et de traitement des demandes de substitution d’assurance. L’établissement prêteur dispose désormais de 10 jours ouvrés maximum pour notifier sa décision suite à la réception d’une demande de substitution. En l’absence de réponse dans ce délai, son accord est réputé tacite.
Vers une démocratisation de l’accès à l’assurance emprunteur
L’évolution du marché de l’assurance emprunteur témoigne d’une tendance progressive vers une plus grande inclusivité, sous l’impulsion conjointe du législateur, des autorités de régulation et des associations de défense des consommateurs. Cette dynamique, bien qu’encourageante, demeure inachevée et soulève plusieurs questions quant aux perspectives futures.
Les avancées récentes, notamment la loi Lemoine, ont contribué à rééquilibrer les rapports de force entre assureurs et emprunteurs. La suppression du questionnaire médical pour certains prêts et la réduction du délai du droit à l’oubli représentent des progrès significatifs dans la lutte contre la discrimination fondée sur l’état de santé. Toutefois, ces dispositions ne concernent qu’une partie des emprunteurs et laissent subsister des zones grises où la protection juridique reste insuffisante.
Le modèle économique de l’assurance emprunteur fait l’objet de débats croissants. La mutualisation des risques, principe fondamental de l’assurance, se heurte à la volonté de personnalisation des tarifs en fonction des profils individuels. Cette tension soulève des questions éthiques fondamentales: jusqu’où peut-on aller dans la segmentation des risques sans porter atteinte au principe de solidarité? Comment concilier l’équilibre économique des assureurs avec le droit à l’assurance pour tous?
Plusieurs pistes d’évolution se dessinent pour l’avenir:
- L’extension du droit à l’oubli à davantage de pathologies chroniques, au-delà des seuls cancers et de l’hépatite C
- La création d’un fonds de garantie spécifique pour les risques les plus difficiles à assurer, financé par une contribution modeste sur l’ensemble des contrats
- Le développement de solutions assurantielles innovantes, s’appuyant sur des données médicales plus précises et actualisées pour affiner l’évaluation des risques
- Le renforcement des sanctions en cas de pratiques discriminatoires avérées
L’impact des nouvelles technologies mérite également une attention particulière. Les progrès de la médecine prédictive et de l’intelligence artificielle ouvrent des perspectives inédites dans l’évaluation des risques de santé. Si ces avancées peuvent contribuer à une tarification plus juste, elles soulèvent également des préoccupations en termes de protection des données personnelles et d’équité dans l’accès à l’assurance. Le législateur devra veiller à encadrer ces évolutions pour éviter l’émergence de nouvelles formes de discrimination plus subtiles mais tout aussi préjudiciables.
Le droit comparé offre des pistes de réflexion intéressantes. Certains pays ont adopté des approches plus radicales face à cette problématique. Le Canada, par exemple, a instauré dans plusieurs provinces une interdiction pure et simple de l’utilisation des informations génétiques par les assureurs. En Belgique, un système de segmentation transparente oblige les assureurs à publier et justifier leurs critères de tarification et de refus.
L’implication des médecins dans ce débat apparaît comme une nécessité. Leur expertise est indispensable pour établir des grilles d’évaluation des risques médicaux qui reflètent fidèlement les avancées thérapeutiques et l’évolution des connaissances scientifiques. Un dialogue renforcé entre la communauté médicale, les actuaires et les juristes permettrait d’affiner les critères d’assurabilité et de réduire les situations de refus injustifiés.
En définitive, la protection des emprunteurs face aux refus injustifiés d’assurance s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance de l’accès au logement comme un droit fondamental. Cette évolution appelle à repenser l’équilibre entre liberté contractuelle des assureurs et droit à l’assurance des emprunteurs, dans une perspective qui place la dignité humaine et l’inclusion sociale au cœur des préoccupations du législateur et des acteurs du marché.
