Le refus d’aménagement de peine face aux crises comportementales : enjeux et perspectives juridiques

Le système pénitentiaire français prévoit des dispositifs d’aménagement de peine pour favoriser la réinsertion des détenus tout en tenant compte de leur comportement. Pourtant, quand un condamné manifeste une crise comportementale, ces perspectives d’aménagement peuvent être compromises. Cette situation soulève des questions fondamentales sur l’équilibre entre sanction disciplinaire et objectif de réinsertion. À travers l’analyse de la jurisprudence récente et du cadre légal, nous examinerons comment les tribunaux d’application des peines apprécient ces incidents comportementaux et leurs conséquences sur les demandes d’aménagement. Cette problématique, au cœur des tensions du système carcéral, mérite une attention particulière tant elle révèle les limites et paradoxes de notre politique pénale.

Le cadre juridique des aménagements de peine en droit français

Le droit pénitentiaire français s’est considérablement développé ces dernières décennies, reconnaissant progressivement l’importance de la réinsertion sociale des personnes condamnées. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a consacré les aménagements de peine comme véritable principe directeur de l’exécution des sanctions pénales. Ce cadre juridique repose sur une philosophie claire : l’emprisonnement ne constitue pas une fin en soi, mais doit préparer le retour du condamné dans la société.

L’article 707 du Code de procédure pénale pose les fondements de cette approche en affirmant que « le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable ». Cette vision est renforcée par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines qui a fait de l’aménagement un principe quasi-automatique pour certaines catégories de peines.

Les modalités d’aménagement sont variées et adaptables aux profils des condamnés :

  • La semi-liberté permettant au condamné de quitter l’établissement pénitentiaire pour exercer une activité professionnelle
  • Le placement sous surveillance électronique (bracelet électronique)
  • Le placement à l’extérieur autorisant le condamné à travailler hors de la prison
  • La libération conditionnelle permettant une sortie anticipée sous conditions

Ces dispositifs sont accessibles selon des critères précis définis aux articles 132-25 et suivants du Code pénal et 712-1 et suivants du Code de procédure pénale. Pour les obtenir, le condamné doit justifier d’efforts de réinsertion, d’un projet professionnel ou de formation, et démontrer une évolution positive de son comportement.

Le juge d’application des peines (JAP) occupe une place centrale dans ce dispositif. Magistrat spécialisé, il statue sur les demandes d’aménagement après avoir évalué la situation personnelle du condamné, son comportement en détention, ses efforts de réinsertion et les risques de récidive. Ses décisions peuvent être contestées devant la chambre de l’application des peines de la cour d’appel.

L’octroi d’un aménagement n’est jamais automatique et reste soumis à l’appréciation souveraine du magistrat. Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, notamment celui du 8 décembre 2021, l’aménagement constitue une faculté et non un droit pour le condamné, même lorsque toutes les conditions légales semblent réunies. Cette marge d’appréciation permet au juge de prendre en compte le comportement du détenu comme facteur déterminant dans sa décision.

La notion de crise comportementale en milieu carcéral

La crise comportementale en milieu carcéral représente une réalité complexe aux multiples facettes. Elle se manifeste généralement par des actes d’insubordination, d’agressivité ou de violence qui perturbent l’ordre établi au sein de l’établissement pénitentiaire. Ces crises peuvent prendre diverses formes, allant de l’altercation verbale avec le personnel pénitentiaire à des actes d’automutilation, en passant par des agressions physiques envers d’autres détenus ou des dégradations matérielles.

D’un point de vue psychologique, ces comportements s’expliquent souvent par la détresse psychique inhérente à l’enfermement. Comme le souligne le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de 2020, « l’univers carcéral, par sa nature même, constitue un environnement propice aux décompensations psychiques et aux passages à l’acte ». Les conditions de détention – promiscuité, bruit constant, manque d’intimité – créent un terrain favorable à l’émergence de troubles du comportement, même chez des personnes sans antécédents psychiatriques.

Sur le plan juridique, ces crises font l’objet d’une qualification précise à travers la procédure disciplinaire pénitentiaire. Le Code de procédure pénale, en ses articles R.57-7-1 à R.57-7-3, établit une typologie des fautes disciplinaires classées en trois degrés de gravité :

  • Les fautes du premier degré incluant les violences physiques graves
  • Les fautes du deuxième degré concernant notamment les insultes et menaces
  • Les fautes du troisième degré regroupant les manquements mineurs aux règles de vie en détention

La commission de discipline, présidée par le directeur de l’établissement, évalue ces comportements et prononce des sanctions pouvant aller du simple avertissement au placement en quartier disciplinaire (communément appelé « mitard »). Ces sanctions sont inscrites dans le dossier pénitentiaire du détenu et peuvent influencer significativement les décisions ultérieures d’aménagement de peine.

Il convient toutefois de distinguer la crise comportementale ponctuelle du trouble psychiatrique avéré. La jurisprudence du Conseil d’État (notamment l’arrêt du 17 novembre 2017) a établi que les comportements résultant directement d’une pathologie mentale devraient relever davantage du soin que de la sanction disciplinaire. Cette distinction fondamentale n’est pourtant pas toujours opérée dans la pratique quotidienne des établissements pénitentiaires.

Les statistiques pénitentiaires révèlent que près de 40% des incidents disciplinaires graves surviennent chez des détenus présentant des troubles psychiatriques diagnostiqués. Cette réalité pose la question de l’adéquation des réponses institutionnelles face à ces crises. Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs arrêts contre la France, la prise en compte de l’état mental du détenu doit être au cœur du traitement des incidents disciplinaires.

L’impact juridique des incidents disciplinaires sur les demandes d’aménagement

Les incidents disciplinaires constituent un facteur déterminant dans l’examen des demandes d’aménagement de peine. La jurisprudence constante des juridictions de l’application des peines démontre que le comportement en détention représente un critère d’appréciation majeur, parfois prépondérant. Cette approche trouve son fondement légal dans l’article 707 du Code de procédure pénale qui prévoit que les mesures d’aménagement tiennent compte « du comportement des condamnés ».

L’analyse des décisions rendues par les tribunaux de l’application des peines (TAP) révèle une corrélation directe entre la survenance d’incidents disciplinaires et le rejet des demandes d’aménagement. Dans un arrêt du 25 mars 2019, la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Paris a confirmé le refus d’une libération conditionnelle en se fondant principalement sur « l’accumulation d’incidents disciplinaires témoignant d’une incapacité du condamné à respecter un cadre contraignant ». Cette position jurisprudentielle est largement partagée par l’ensemble des juridictions françaises.

La temporalité des incidents joue un rôle crucial dans cette évaluation. Un incident ancien, suivi d’une période prolongée sans nouveau manquement, aura généralement un impact limité sur la demande d’aménagement. À l’inverse, un incident récent, même isolé mais d’une particulière gravité, peut justifier à lui seul un refus d’aménagement. Cette approche temporelle a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 2020, où elle valide le raisonnement d’une cour d’appel ayant refusé une libération conditionnelle en raison d’un incident survenu trois mois avant l’examen de la demande.

L’impact des incidents varie considérablement selon leur nature et leur gravité :

  • Les violences physiques envers le personnel pénitentiaire ou d’autres détenus constituent presque systématiquement un motif de refus
  • La détention d’objets prohibits (téléphones, stupéfiants) est sévèrement appréciée
  • Les manquements mineurs au règlement intérieur ont une incidence variable selon leur fréquence

La doctrine juridique s’est interrogée sur cette pratique qui semble parfois faire primer la dimension disciplinaire sur l’objectif de réinsertion. Certains auteurs, comme le Professeur Martine Herzog-Evans, critiquent une approche trop mécanique qui transformerait l’aménagement de peine en « récompense comportementale » plutôt qu’en outil de réinsertion sociale.

Dans une décision remarquée du 11 mai 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a nuancé cette approche en rappelant que « si le comportement en détention constitue un élément d’appréciation légitime, il ne saurait à lui seul justifier un refus d’aménagement lorsque toutes les autres conditions sont réunies et que le projet de réinsertion présente des garanties sérieuses ». Cette jurisprudence ouvre la voie à une appréciation plus équilibrée, où l’incident comportemental serait replacé dans un contexte global d’évaluation.

Pour les praticiens du droit pénitentiaire, cette question soulève des enjeux pratiques considérables. Les avocats spécialisés développent des stratégies de défense visant à contextualiser les incidents, notamment en soulignant les conditions de détention difficiles ou les problématiques de santé mentale pouvant expliquer certains comportements. Cette approche trouve un écho favorable auprès de certains juges d’application des peines sensibilisés aux réalités carcérales.

L’approche différenciée des troubles psychiatriques et des crises comportementales

La distinction entre troubles psychiatriques avérés et crises comportementales ponctuelles représente un défi majeur pour le système judiciaire d’application des peines. Cette différenciation est fondamentale car elle détermine l’approche à adopter : thérapeutique dans le premier cas, disciplinaire dans le second. Pourtant, la frontière entre ces deux réalités reste souvent floue en pratique.

Le Code de procédure pénale ne fournit pas de définition précise permettant de distinguer clairement ces situations. C’est donc principalement la jurisprudence qui a élaboré des critères d’appréciation. Dans un arrêt fondateur du 18 mars 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que « l’état psychiatrique du détenu doit être pris en considération dans l’appréciation de sa responsabilité disciplinaire lorsque son discernement apparaît altéré au moment des faits ».

Cette position jurisprudentielle a trouvé un prolongement dans la pratique des commissions disciplinaires pénitentiaires. Une circulaire de la Direction de l’administration pénitentiaire du 9 juin 2019 recommande désormais de solliciter systématiquement un avis médical avant d’engager des poursuites disciplinaires contre un détenu présentant des signes de troubles mentaux. Cette évolution traduit une prise de conscience progressive de la spécificité des troubles psychiatriques en milieu carcéral.

Sur le plan médical, les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) jouent un rôle déterminant dans cette différenciation. Les psychiatres intervenant en détention peuvent établir des certificats médicaux attestant que certains comportements relèvent davantage de la pathologie que de l’indiscipline volontaire. Ces avis médicaux sont de plus en plus pris en compte par les juges d’application des peines, comme en témoigne une décision du tribunal de l’application des peines de Bordeaux du 7 septembre 2020, accordant un placement sous surveillance électronique malgré plusieurs incidents, au motif que ceux-ci étaient « manifestement liés à un état psychotique insuffisamment stabilisé ».

Critères de différenciation établis par la pratique judiciaire

Plusieurs critères émergent de l’analyse des décisions judiciaires pour distinguer le trouble psychiatrique de la simple crise comportementale :

  • L’existence d’un diagnostic médical préalable aux incidents
  • La cohérence entre les manifestations comportementales et la pathologie diagnostiquée
  • Le contexte de survenance des incidents (arrêt de traitement, période de stress particulier)
  • La capacité du détenu à expliquer et analyser a posteriori son comportement

Cette approche différenciée trouve un écho dans les recommandations du Conseil de l’Europe, notamment dans les Règles pénitentiaires européennes qui préconisent que « les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet ».

Dans la pratique judiciaire française, cette distinction influence directement les décisions d’aménagement de peine. Une étude menée par l’Observatoire international des prisons en 2022 révèle que les incidents disciplinaires liés à des troubles psychiatriques documentés ont 40% moins d’impact négatif sur les décisions d’aménagement que les crises comportementales sans fondement pathologique identifié.

Certaines juridictions d’application des peines ont développé des pratiques innovantes pour mieux appréhender cette complexité. Le tribunal de l’application des peines de Lille, par exemple, a mis en place des audiences spécialisées où un expert psychiatre est systématiquement convoqué pour éclairer le tribunal sur la nature des incidents disciplinaires lorsque le détenu présente des antécédents psychiatriques. Cette approche pluridisciplinaire permet une évaluation plus fine des situations individuelles.

Vers une réforme de l’appréciation des incidents en matière d’aménagement de peine

Face aux critiques sur la place prépondérante accordée aux incidents disciplinaires dans les décisions d’aménagement, plusieurs pistes de réforme émergent dans le débat juridique actuel. Ces propositions visent à établir un équilibre plus juste entre maintien de l’ordre carcéral et objectif de réinsertion sociale.

Une première approche consisterait à instaurer un principe de proportionnalité explicite dans l’évaluation des incidents. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a recommandé en 2021 que « l’impact d’un incident disciplinaire sur une demande d’aménagement soit strictement proportionné à sa gravité, sa récurrence et son ancienneté ». Cette proposition trouve un écho favorable chez de nombreux magistrats qui estiment nécessaire de formaliser davantage les critères d’appréciation.

La question de la temporalité des incidents fait l’objet d’une attention particulière. Certains praticiens suggèrent l’instauration d’une forme de « prescription » des incidents mineurs après un délai raisonnable. Le Syndicat de la magistrature propose ainsi que « les incidents de troisième catégorie ne puissent plus être invoqués pour refuser un aménagement après un délai de six mois sans récidive disciplinaire ». Cette approche permettrait de valoriser les efforts de comportement sur la durée plutôt que de figer le détenu dans ses erreurs passées.

L’intégration plus systématique de l’expertise psychiatrique dans l’évaluation des incidents constitue une autre piste prometteuse. Le rapport parlementaire sur la santé mentale en prison, publié en mars 2022, préconise « l’intervention systématique d’un psychiatre dans la procédure disciplinaire lorsque le détenu présente des antécédents psychiatriques ou des signes évocateurs de troubles mentaux ». Cette recommandation vise à médicaliser l’approche des troubles du comportement plutôt que de les traiter uniquement sous l’angle disciplinaire.

Des expérimentations locales témoignent déjà de cette évolution des pratiques. Le tribunal de l’application des peines de Marseille a mis en place depuis 2020 un protocole innovant de « contextualisation des incidents ». Chaque incident est analysé en prenant en compte :

  • Les conditions matérielles de détention au moment des faits
  • L’état psychologique du détenu documenté par l’unité sanitaire
  • Les événements personnels (deuil, rupture familiale) pouvant expliquer un passage à l’acte
  • Les efforts de réparation ou d’excuses présentés après l’incident

Cette approche globale permet une appréciation plus nuancée des comportements problématiques et limite les refus automatiques d’aménagement basés sur des incidents isolés.

Sur le plan législatif, plusieurs propositions visent à rééquilibrer le poids des incidents dans la décision judiciaire. Une proposition de loi déposée en janvier 2023 suggère de modifier l’article 707 du Code de procédure pénale pour préciser que « le comportement en détention ne peut constituer le motif unique de refus d’un aménagement de peine lorsque l’ensemble des autres conditions sont réunies et que le projet de sortie présente des garanties sérieuses de réinsertion ». Cette formulation viserait à limiter les refus fondés exclusivement sur des considérations disciplinaires.

La formation des magistrats constitue un autre levier d’évolution. L’École nationale de la magistrature a renforcé depuis 2021 les modules consacrés à la psychiatrie carcérale dans la formation des juges d’application des peines. Cette sensibilisation aux réalités psychiques de l’incarcération permet une meilleure compréhension des mécanismes pouvant conduire à des crises comportementales.

Ces différentes propositions témoignent d’une prise de conscience progressive : si le comportement en détention reste un indicateur pertinent, il ne peut occulter la finalité première des aménagements de peine qui demeure la préparation d’une réinsertion durable dans la société. Comme le souligne le Professeur Jean-Paul Jean, « la vraie question n’est pas tant de savoir si le détenu a bien respecté toutes les règles de la détention, mais s’il sera capable de respecter celles de la vie en société ».

Les perspectives d’évolution jurisprudentielle et leurs implications pratiques

L’analyse des tendances jurisprudentielles récentes laisse entrevoir une évolution significative dans l’appréciation des crises comportementales par les juridictions d’application des peines. Cette dynamique jurisprudentielle, encore émergente, pourrait redessiner profondément les contours de cette problématique dans les années à venir.

La Cour de cassation a amorcé un virage notable dans plusieurs arrêts récents. Dans une décision du 15 septembre 2022, la chambre criminelle a censuré une cour d’appel qui avait refusé une libération conditionnelle en se fondant principalement sur deux incidents disciplinaires. La Haute juridiction a estimé que « les juges du fond doivent procéder à une évaluation globale de la situation du condamné, sans accorder une importance disproportionnée aux incidents de détention lorsque ceux-ci sont isolés et que le projet de sortie présente par ailleurs des garanties sérieuses ». Cette position marque une inflexion notable vers une appréciation plus équilibrée.

Dans le même sens, plusieurs cours d’appel développent une jurisprudence plus nuancée. La chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 3 mars 2022, a accordé un placement sous surveillance électronique malgré plusieurs incidents disciplinaires, en considérant que « ces manquements, bien que regrettables, doivent être replacés dans le contexte particulièrement éprouvant de la détention et ne sauraient occulter les efforts constants de réinsertion démontrés par ailleurs ». Cette décision illustre une tendance à contextualiser davantage les incidents.

L’influence du droit européen joue un rôle non négligeable dans cette évolution. La Cour européenne des droits de l’homme, sans se prononcer directement sur la question des aménagements de peine, a développé une jurisprudence substantielle sur les troubles psychiatriques en détention. Dans l’arrêt Rooman c. Belgique du 31 janvier 2019, elle a rappelé l’obligation pour les États de fournir une prise en charge adaptée aux détenus souffrant de troubles mentaux. Cette jurisprudence européenne irrigue progressivement les pratiques nationales.

Pour les avocats pénalistes spécialisés en exécution des peines, ces évolutions jurisprudentielles ouvrent de nouvelles stratégies de défense. Maître Sarah Dindo, avocate au barreau de Paris, témoigne : « Nous développons désormais des argumentaires beaucoup plus élaborés autour des incidents disciplinaires, en les replaçant systématiquement dans leur contexte et en sollicitant des expertises psychiatriques pour éclairer le tribunal sur leurs causes profondes ». Cette approche contextuelle semble porter ses fruits dans un nombre croissant de dossiers.

Sur le terrain, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) adaptent également leur pratique professionnelle à cette évolution jurisprudentielle. Leurs rapports présentés au juge d’application des peines intègrent désormais plus systématiquement une analyse des facteurs ayant pu conduire aux incidents et des mesures prises par le détenu pour éviter leur répétition. Cette approche plus dynamique du comportement en détention permet de dépasser une vision purement statique des incidents.

Les implications pratiques de cette évolution sont considérables pour l’ensemble des acteurs de l’application des peines :

  • Pour les détenus, la possibilité accrue de voir leur demande d’aménagement examinée au-delà des seuls incidents
  • Pour les magistrats, une responsabilité renforcée dans l’analyse contextualisée des comportements
  • Pour l’administration pénitentiaire, un défi d’adaptation de ses pratiques disciplinaires
  • Pour les soignants en milieu carcéral, une valorisation de leur expertise dans l’évaluation des comportements problématiques

Cette dynamique jurisprudentielle s’inscrit dans un mouvement plus large de déjudiciarisation et d’individualisation des peines. Comme le souligne le Premier président de la Cour de cassation dans son discours lors de l’audience solennelle de janvier 2023, « l’exécution des peines doit être guidée par un principe de réalité qui intègre pleinement les conditions concrètes de la détention et leurs effets sur le comportement humain ».

L’avenir de cette jurisprudence dépendra largement de l’équilibre que les tribunaux parviendront à établir entre deux impératifs parfois contradictoires : d’une part, maintenir l’exigence d’un comportement respectueux des règles comme condition d’un retour progressif à la liberté ; d’autre part, reconnaître que le parcours de réinsertion ne peut être exempt d’obstacles et de régressions ponctuelles, particulièrement dans le contexte difficile de l’incarcération.

Les perspectives d’évolution jurisprudentielle esquissent ainsi un modèle plus nuancé d’appréciation des crises comportementales, où celles-ci seraient considérées non comme des fins de non-recevoir automatiques, mais comme des éléments parmi d’autres dans une évaluation globale du parcours de réinsertion du condamné.